Journal d’une mineure incarcérée

25 juin 2016

Journal d’une mineure incarcérée

prison

Désolée maman, désolée papa. Désolée quand même, même si là où vous êtes, vous ne m’entendrez pas. Aussi désolée la société, toi qui me regarde comme une délinquante. A 16 ans, je suis déjà une criminelle pour toi. Oui bien sûr, en détention provisoire, jusqu’ici, j’ai le droit d’être vu comme une innocente, vu que le doute doit être toujours en faveur de l’accusée et que la personne en détention est présumée innocente jusqu’à son jugement définitif.  Je suis encore innocente chère société, alors arrête de me pointer du doigt comme si j’étais la plus monstrueuse des meurtrières, des voleuses, des déviantes, des délinquantes ? Aussi, ne dit-elle pas cette loi que cette personne (l’accusée) a des droits et des devoirs ? Oui vraiment ! j’ai encore des droits justement en y pensant. Quel droit ? Le droit de ne pas jouir de mes droits civils, sanitaires et culturels ? Le droit d’être cette orpheline depuis 10 ans qui se bat corps et âme pour sa survie ? Hein, dis-moi chère société, toi qui juge en tout temps et en tout lieu, qui ne se penche que sur l’état des faits tout en ignorant tout le processus, toute l’histoire et la réalité que ceux-ci amènent derrière eux.

Je ne veux pas laisser passer le temps sans dire au monde qui suis-je réellement. Au fond, chère société, je suis une délinquante mais une délinquante de survie. Petite j’ai voulu être avocate, écrivain et peintre. J’ai un instant rêvé de faire arrêter le temps avec la magie des mots, de décrire la plus belle histoire d’amour sur une toile de teinture jaune et grise et surtout de faire chanter et baiser la vie comme ma mère et mon père l’ont bien raté. Mais dommage, j’ai juste eu le temps de faire tourner la vie dans le sens inverse du bonheur.

Aussi chère société, je n’ai jamais rêvé d’être cette prostituée quelques soirs du coin de la rue au bord du marché à la rue 13 J. Je n’ai pas aussi voulu regarder dans le sac de cette marchande, cet argent je n’ai pas choisi de tout voler mais l’occasion s’est présentée, j’en ai profité mais c’est en pensant à demain que je l’ai fait, avant même de commencer l’acte, dans mon premier rêve, dans mon intention, je me suis dit avec cet argent, demain je me reposerais, j’irais enfin me prendre un petit plat à 50 gourdes. Oh oui ! Et puis pour le reste je vais essayer de commencer le petit commerce que Madan Sylvia m’a toujours conseillé. Oups !!!! Voyons, il faut dire que je n’avais pas encore pensé à ce que je vais vendre. Je ne connaissais pas encore de combien est le montant. De toute façon c’était des projets qui me passaient par la tête tout en rodant près du tablier de la marchande. Voler était plus risqué, je savais tôt ou tard qu’un jour je me ferai humiliée, prise, incarcérée, battue et même tuée mais c’était moins dure que de me prostituer. Je ne pouvais plus à un certain moment supporter la bave de ces vieux qui me lèchent tout le corps et me pénètrent sous les tables du marché. Les tables pleines de senteur d’épices, de viandes, de poissons. Ces tables, mes lits ont fini par me répugner ! J’étais mineure, je n’avais pas de carte d’identification, je suis sûre que j’étais très bonne dans la sucette car ce vieux marchand sympathique, vendeur de glaçons tous les jours à la rue 10 A, revenait les soirs régulièrement, prendre une belle pipe pour ces 20 gourdes, parfois il m’en donnait 25. De toute façon, je préfère croire que c’est parce que j’étais bonne qu’il revenait au lieu de penser que ce n’est que parce qu’il n’avait pas d’autre option. Mes courbes arrondies, quand je me soigne un peu pourraient bien me valoir le titre d’une prostituée fraîche et jeune, en fait toute cette déduction sur mon charme c’est encore le vieux qui me fait certains compliments, aussi Madan Sylvia me dit tout le temps : ‘’ Ou gen bel ti bout anba, pa lagel a la driv’’, mais dommage aucune boite de nuit n’allait me recruter.

Chère société, je suis une délinquante mais je souhaiterais bien savoir ce que tu as fait pour pallier à ce phénomène ? Et oui, l’on interdit la prostitution des mineures, mais que fait-on pour encadrer ces jeunes-là dans ce pays ? Qu’en est-il de leur avenir suivant l’ordre du projet de société ? Ah oui projet de société ! quelle belle phrase ? Quelle politique d’insertion et d’encadrement pour cette catégorie ? Ou sont les centres de redressement pour les jeunes mineurs comme moi, déviés par la routine du quotidien, manque de perspective ont fait choix de la voie néfaste ? On m’a arrêté parce que j’ai volé, et j’ai volé parce que j’avais faim. Et j’ai faim parce que je suis une orpheline et que je n’ai personne pour me donner à manger. Trop jeune j’ai choisi la voie facile, la voie néfaste, voler, mendier, me prostituer.

Il m’est venu en tête de vous dire que certains prisonniers devraient être appelés des prisonniers étatiques. Oui L’Etat en fait des prisonniers. L’Etat dans mon pays et l’état de mon pays ont fait de moi une prisonnière, délinquante et criminelle. Que de pauvres gens derrière les barreaux, je me demande si l’on se pose parfois la grande question d’ordre de la sociologie carcérale : pourquoi tant de pauvres en prison ? Qui sont les responsables de cette reproductivité de la pauvreté. Les pauvres ou L’État ? Si l’État en fait des pauvres, qui violent les lois et commettent des injustices en retour, ne doit-on pas estimer que c’est injuste que le pauvre soit pauvre ? Alors chère société, toi qui a institué l’État, quand vas-tu arrêter de me pointer du doigt comme une déviante et commencer par t’arrêter toi-même ? Que dire ! arrêter de mal fonctionner. Arrêter de faire l’injustice par la justice. Quand est ce que ces innocents pourront enfin être libérés ? Quand vas-tu penser sur le sort de ces jeunes sans directive, livrés à eux-mêmes ? Ceux qui ne sont pas encore arrêtés, auront-ils la chance d’être enfin insérer dans le système social pour ne pas finir comme moi ?

Enfin chère société, dans cette petite cellule, on m’enlève le meilleur des droits, le droit à la liberté mais enfin je finis par aimer la prison. Ici, on n’a pas d’illusion, on sait qu’on est pas libre, on connait déjà comment demain sera : Du maïs tous les matins, de la bouillie le soir, je jouerais un peu aux cartes avec les majeures au cours de la journée ou je me ferais faire des tresses par la nouvelle incarcérée, aussi mineure et je vais enrichir mon vocabulaire de gros mots, les ainées en sont des spécialistes.

A quand ma libération ? Pas de réponse à cette question, je termine ma page chère société, tu es trop injuste !

 

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Phernanda
Répondre

Emouvant ton texte!Vita Pierre.

Eddlie M Charles
Répondre

Good job Vita! Je suis fière de toi!

marconi
Répondre

J'ai le privilege d'etre le premier a te feliciter publiquement Vita! Ton texte est un "ramasse" de la realite des mineures gardées en detention en Haiti. Un texte touchant et profond qui devrait interpelle la conscience de plus d'un pour une meilleure organisation de notre societe! Bravo Vita

AndersonT
Répondre

Le texte globalement cerne tous les aspects du probleme des jeunes filles incacerés avec peu de choix dans la vie. Le developpement dans un pays doit ouvrir un plus plus large éventaill d choix pour ces habitants, ces jeunes etc. On est loin de ces objectifs, très beau texte Vita, bel diagnostic! Keep Going

Geralda Auguste
Répondre

Je te felicite pour ton texte Vita...c'est très émouvant...!j'attends le prochain livre ma chère.