Tendre Lilia.
Tendre Lilia,
J’ai peut-être tort de t’écrire cette lettre pour te raconter et te décrire ces histoires qui ne t’engagent pas mon cher petit être. Oui ma bouboule tu es la mauvaise destinataire, mais que faire d’autre si ce n’est pas à toi que je l’adresse, toi mon rayon de soleil, mon amour et ma folie.
Lilia, j’ai été chez une amie pour passer une semaine dans un coin du centre-ville de la cité de l’indépendance, les Gonaïves. C’était un décembre 2011, je venais dans le cadre d’un petit exercice de travail de terrain qu’on m’avait donné à la faculté. J’ai vu et observé ce petit garçon qui devrait avoir entre 5 ans et 8 ans entre la rue Liberté et devant la place d’Armes de la ville. Son beau visage est resté à nos jours dans les paramètres de mes pensées. Ce petit ange si frêle, si innocent qui se bat avec la vie pour sa survie. Son prénom est Ti-Antoine me dit-il, il ne connait pas son nom complet. Mais c’est surement ‘’Enfant de rue ‘’ son vrai nom, oui c’est pitoyable de le dire moins de l’accepter, c’est une réalité mon pauvre bébé.
Sa vie est faite de tout ce que je vais te raconter ici: Il joue à cache-cache avec le soleil, à cache-cache avec son désespoir, à cache-cache avec sa misère. Sous les aisselles du petit matin il trône sur les trottoirs pour crever sa faim, panser ses blessures et sauver son sourire. Cet enfant valse avec la joie comme l’océan avec ses vagues, comme la douleur avec les larmes, comme la soif avec la salive. Son front égaré dans les racines de l’incertain, il mendie, il s’humilie. Sur chaque tronc d’arbre, il dessine son temps, il peint sa peine et son malheur sur l’espace. Cet enfant crie, il demande que ses yeux prennent la direction d’un monde opacifié par la fumée de l’or et de vie, Il veut goûter à la passion de l’aurore et dîner autour d’une belle table avec un papa, une maman et des frères et sœurs comme beaucoup d’autres. Malgré la chair rugueuse des jours, l’enfant ravale ses pleurs, Il apprivoise ses cauchemars et combat sa faim et ses désirs. Des jours sans pain et avec la maladie, sa vie ridée, déshabillée de toute beauté est une vie ensevelie ! Cet enfant remue la mousse de la vie dans les pétales du petit matin ou son espoir est caché dans les replis du jour, dans les radicelles de l’éclair dans la corolle des tourments, dans le pistil des rêves. L’espoir est lové dans la pulpe de ses yeux. La sueur au front, il trébuche, il se retient, Il s’anime. Il torture sa chair en étalant son désarroi. Il mendie partout, aux grands comme aux petits. Son chant allait et venait toujours les mêmes refrains et les collines se défeuillaient devant lui. Les heures et les jours s’escaladent, il tient encore à vivre, que dire ? Il veut exister! La savane de sa vie est un désert. Son silence s’éleve entre son cœur et son corps. Cet enfant regarde sans trop savoir quoi et pourquoi. Le sol creuse sous ses pieds et le ciel s’écroule et les mêmes mots, les mêmes adjectifs : ‘’malheureux, chétif, désespéré, abandonné’’ constituent le registre lexical du train de sa vie. Comme si sa vie était un carnaval de peur et d’injustice. Le rêve pour lui une sorcellerie. Il ne sait ni lire ni écrire. Il ne savait que mendier dès la première heure du matin, se reposer à l’aube sur les trottoirs et les détritus et chante son réveil dès minuit. Le paysage de son sommeil saigne, l’amertume se dresse sur les milles pattes. La chaleur, le froid ont tout brulé, même les belles gousses de son existence. Quand le soleil est en colère, ses yeux et ses cheveux sont jaunes, ses jambes tremblaient, sa salive séchait et son corps s’endolorit. Quand la pluie pèle toute la terre, son nid se défait. Tous les coins sont humides, et son repos un fiasco. Dans les flammèches du jour, les cases éparpillées, les monts, les plaines sur son dos, il avance et espère, il croit et vit, il avance de nouveau et refuse de mourir. Il est dans ce présent entre ces choix d’effondrement ou d’écrasement. Il regarde un demain qui brille dans les tréfonds de l’incertain. Il a ce décor d’un passé qui salit son histoire. Et ses droits oubliés dans les couloirs de l’injustice. Son existence s’est noyée derrière la justice sociale, car il est enfant de rues, Il s’en va l’œil encore ouvert, en attendant une brise d’étincelle, une petite partie de celle de toi et moi. Une petite part de la nôtre pour tenter d’éclairer sa voie, pour essayer de briser la voix du mal et de la misère.
Oui, ma chérie, en écrivant cette lettre mes chaudes larmes débordent sur mes joues, de froides pluies amères se déversent sur mes jours. Je ne peux contenir cette envie de te voir, ton beau sourire si tu en aurais, tes yeux et tes éclats de rire. Enfin tout de toi!
Lilia tout de suite je me demande entre toi et lui, lequel a le plus de chance. Toi qui n’arrive pas à être né mais qui a toutes les avantages du monde qui t’attendent, avec une maman avocate, assistante sociale qui habite un château dans les hauteurs de Thomassin et lui qui a son souffle de vie mais qui traine sur les trottoirs, sans cette maman pour prendre soin de lui ? Combien le monde est injuste! Oui, injuste pour vous deux. Vous êtes mes deux morts, car ces conditions de vie déshumanisantes, précaires, cette forme de vie dans la pauvreté est cet état qui met l’individu hors de la société. Lilia, toi mon souffle de vie, tu es mon illusion et Ti-Antoine est ce petit être inconnu mais si réel. Je vous aime et c’est votre vie, votre existence réelle que je pleure. Ma lettre réclame ta vie Lilia. Et ces mots sont pour dire que Ti-Antoine doit aussi s’intégrer, vivre et exister.
Ma Lilia, toi dont le monde ignore encore le vrai et beau visage. Dis-moi que faire de cet enfant ? Écris à ta maman pour lui dire dans ce monde dont tu es à présent, existe-t-il autant d’injustices, d’inégalités et de bêtises ? Je veux bien conclure pour savoir entre ta mort et sa vie mourante, laquelle préférée ? Il est surement plus là, notre pauvre Ti-Antoine, mais je sais qu’ici quand un enfant de rue quitte les trottoirs, il y en a d’autres qui viennent. Bien sûr ! Ici la protection citoyenne, la protection à l’enfance ce ne sont encore rien que des discours. Et je te promets pendant que j’y pense, en ton nom adressé une lettre au chef d’État. Inspire-moi pour trouver les mots justes mon petit amour d’ange. Dis-moi comment bien dire aux hommes D’État pourquoi pas le sort des enfants au centre de leur politique et leur projet de société?.
Li, maman est toujours si malade de ton absence, elle va revenir dans un quart de seconde l’infirmière pour me demander de déposer ma plume et mon cahier, mais je m’en vais t’aimer mon tendre amour, en attendant de me dire que faire de cet enfant de rue. Que faire pour ces enfants de rues, dis-moi donc dans ce long et doux sommeil qui a l’instant frappe à ma porte.
Affectueusement ta maman.
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